Royaume vandale, principautés maures et reconquête byzantine

Repères de lecture : Saint-Augustin meurt en 430 alors que l’invasion de l’Afrique du Nord par les Germains nommés Vandales a à peine commencé. Ce peuple originaire de la Baltique instaurera en quelques décennies un royaume comprenant la Numidie, la Proconsulaire, la Byzacène, ainsi que les îles de la Méditerranée occidentale (Sardaigne, Corse, Sicile et Baléares). Prenant place dans une petite période du calendrier historique de l’Algérie, ce royaume tiendra à peine plus d’un siècle et ne laissera que très peu de traces. Sa disparition en 533 marque la reconquête byzantine du Maghreb, avec l’influence artistique et culturelle que l’on sait. Entre temps, les Berbères s’affranchissent peu à peu des différents occupants, formant ici et là des royaumes (ou principautés) indépendants. La célèbre expédition de Oqba Ibn Nafâ mettra fin à la présence byzantine vers 670. Une aube nouvelle se lèvera qui fera passer le pays de l’Antiquité au Moyen-âge, du christianisme à l’islam, mais c’est une autre grande histoire.

Le royaume vandale d’Afrique du Nord (429- 533)

Bien installés en Bétique (la future Andalousie – (V)andalousie ?) depuis 419 (et même avant puisque, depuis 407, ils commettent des incartades ravageuses en Tingitane), les Vandales commencèrent à lorgner sérieusement du côté oriental de l’Afrique du Nord, réputée pour ses richesses, en 428. Genséric, leur roi, décida donc de passer à l’action – une invasion de plus – en entraînant avec lui environ 80000 hommes et femmes de tous âges, dont 15000 à 20000 guerriers, la plupart Vandales, d’autres étant Suèves ou Alains (autres peuples germaniques envahisseurs). Les Colonnes d’Hercule, plus tard renommées “Détroit de Gibraltar (Djabal Tariq)”, furent franchies en 429, et le débarquement dut avoir lieu sur les plages de Tanger. De là, la troupe de Germains entreprit sa longue marche vers la Proconsulaire, région des plus riches s’il en est une. L’histoire dit que Genséric aurait été auparavant mandé, afin de lui venir militairement en aide, dès 427, par Boniface, le dernier général romain d’Afrique, pressé de s’affranchir de Rome (cour de Ravenne) et de créer une principauté indépendante dont il aurait été le monarque. Toujours est-il qu’il n’y aurait eu aucune suite à cette demande. En fait, Genséric pensait déjà fortement – son ambition devait être grande – à s’emparer du grenier à blé des Romains, soit la partie orientale comprenant la Numidie et la Proconsulaire. Au cours de l’année 429, La horde des Barbares avait déjà atteint Altava (Ouled Mimoun, entre Tlemcen et Sidi Bel Abbes) ; elle ne rencontra quasiment pas de résistance, l’armée romaine était divisée par des querelles internes. De plus, le gros des troupes romaines se trouvait sur le lime méridional, il leur était donc difficile de venir immédiatement contrer l’invasion qui se faisait plus au Nord. Du côté des ruraux, peu ou prou de résistance, peut-être bien le contraire tant Maures et Numides désiraient voir mettre un terme à l’occupation romaine qui n’avait que trop duré. Seuls les notables avaient quelque chose à perdre dans cette invasion soudaine. Lorsque l’armée de Boniface arriva enfin au contact des Vandales en 430, elle perdit la bataille entre Calama (Guelma) et Hippone (Annaba), Boniface pourra trouver refuge dans cette dernière. Il y vit un Augustin bien malade, mais haranguant tant bien que mal les citadins pour organiser la défense de la cité. Jusque-là, toute ville s’étant trouvée sur le chemin des envahisseurs était tombée facilement, ou contournée. Le siège que firent les Germains à Hippone dura plusieurs mois, mais Augustin n’en connaîtra pas l’issue puisqu’il mourra peu de temps après son début, vers la fin du mois d’août 430. Selon Mahfoud Kaddache, ce siège aurait duré jusqu’à quatorze mois avant que la ville ne tombe entre les mains de Genséric. La réputation de ce peuple du Nord de l’Europe, qui a laissé son nom pour qualifier la destruction et le pillage, systématiques, allait marquer toute la région ; nombreux sont les écrits décrivant les méthodes employées par ces avides guerriers. Ceux de Possidius Calama relatent en effets des actes d’une infâme cruauté (pillages, massacres, torture, viols…). Mais quelle invasion n’a pas commis de violence ? Villes en ruine, chasse aux prêtres catholiques autant que donatistes, meurtres en séries… les Romains en avaient fait autant ! Lorsque Genséric s’imposera enfin, «il ne touchera pas aux paysans, source de labeur, de richesse et d’impôt», comme le souligne Mahfoud Kaddache. Par contre, terres et trésors, appartenant aux notables ou aux catholiques aisés, seront confisqués. Des églises, en Tunisie surtout, se convertiront par la force des choses à la religion des Vandales : l’arianisme, quand la plupart entrera en résistance, souvent vainement ou au prix de souffrances infligées par les nouveaux maîtres. Rome, vaincue une première fois en 435, proposa à Genséric et sous l’autorité de Valentinien III, de signer un traité de paix (Traité de Ravenne ou d’Hippone) qui lui accordait la Maurétanie sitifienne ainsi que la majeure partie de la Numidie (Nord). Les Vandales acceptèrent de se mettre au service de l’Empire alors en pleine décadence, ils le firent même au titre de “fédérés”. Ne perdant pas le sens des affaires, Rome avait en tête de leur faire payer un impôt pour l’exploitation de ce premier territoire royal.

Saldæ (Bejaïa), qui était provisoirement devenue capitale du royaume vandale, céda la place à Hippone (Annaba) dès 437. A en croire la suite de l’histoire, Genséric ne se satisfit pas de cette maigre conquête. En 439, il rompait la paix pour s’attaquer à la Proconsulaire, encore tenue par les Romains. Ceux-ci subirent alors de nombreux revers militaires et, dès les premiers assauts, Carthage fut occupée. Mais c’est seulement plusieurs années plus tard, en 442, que sera signé un second traité, inversant quelque peu les territoires respectifs des Romains et des Vandales de Genséric. En effet, Ces derniers s’accaparaient la majeure partie de la Numidie, la Proconsulaire, la Byzacène ainsi que la Tripolitaine, alors que les Romains étaient renvoyés vers les Maurétanies qui, visiblement, n’intéressaient pas vraiment les Germains. Mais attendons pour voir.

En cette période où l’Empire d’Occident était en train de vaciller, Genséric ne mit pas longtemps à contrôler, au moins partiellement, les Maurétanies, sitifienne et Césaréenne. Des groupes armés y commirent d’abord des raids meurtriers, avant d’en chasser les Romains encore plus vers l’Ouest et vers le Sud. En 455 (mort de Valentinien III), après avoir saccagé Rome et envahi l’ensemble des îles méditerranéennes occidentales, les Vandales occupaient un vaste territoire en Afrique. En 468, une première tentative byzantine de récupération des territoires perdus par les Romains d’Occident échoua devant la puissante flotte vandale. Signalons aussi qu’en 476, Odoacre, chef des Skires et des Hérules, mettait fin à 1229 années d’Empire romain sur l’Occident, en déposant son dernier empereur, le jeune Romulus Augustus qui n’aura régné que dix mois. Genséric meurt en 477, son fils aîné Hunéric héritera de la couronne. Cette année marque la fin de l’expansion vandale et le début de dissensions internes. Ce début de règne sera entaché (de 477 à 484) par une terrible répression à l’endroit de ceux qui osèrent se rebeller contre le pouvoir. D’après les chroniques de l’évêque Victor de Vita, des milliers de clercs catholiques furent déportés dans le Hodna. Il faut savoir qu’en 454, Genséric s’était montré plus tolérant puisqu’il avait fait élire Deogratias, évêque catholique, comme prélat de Carthage ; à la mort du roi, les persécutions avaient repris de plus belle.

Les Vandales n’entretenaient que quelques garnisons et avaient peu de relations avec les autochtones. Le pays s’organisa en conservant une part de la législation romaine en cours, de nouvelles règles, propres aux Germains, s’y ajoutant. Les juridictions étaient séparées, les Romains devant respecter leurs propres lois tandis que les Vandales ne pouvaient être jugés que par des juges vandales, devant des tribunaux spéciaux. Notons au passage ce qu’il faut prendre pour un signe de puissance montante, les Vandales ont battu monnaie. L’exploitation des domaines impériaux, rapidement confisqués, avaient été confiés à des fermiers ; des intendants les administraient pour le compte du roi. L’aristocratie romaine s’est ainsi vue privée de tous ses biens, les nobles ayant été déchus au rang de simples quidam. L’impôt était levé sur les terres privées et conservées par des Romano-africains. En se qui concerne l’Église, elle subissait les foudres des ariens (disciples d’Arius, violents prosélytes) et ne pouvait que tenter de résister. La chasse aux évêques récalcitrants était rude (90 morts chez les catholiques en 2 ans), et c’est en 484 que Hunéric décida de mettre un terme à la présence des catholiques et des donatistes en imposant un grand concile unificateur à Carthage. 406 prélats répondirent à l’appel, accourant des Maurétanies, de Numidie, de Proconsulaire et d’ailleurs, pensant pouvoir faire entendre leur cause. Peine perdue puisque il leur était donné ordre de se convertir à l’arianisme, pour éviter l’exil (cas des Numides), ou bien pire (cas des Proconsulaires). On sévit par une série de confiscation des biens ecclésiastiques. Quelques temps au moins, des catholiques ont abjuré pour épouser, en apparence, la doctrine des Germains. Le temps des Vandales terminé, le catholicisme retrouvera son rang de religion principale, ce jusqu’à l’arrivée des Arabes. De toutes façons, la grande majorité des citadins n’avait jamais abandonné la foi catholique romaine et apostolique. C’est aussi en 484 que quelques petites tribus berbères résiduelles de l’Aurès et des Némenchas, sans doute converties partiellement au christianisme, se soulevèrent de manière mémorable. Les Vandales eurent beaucoup de mal à en contenir les assauts, conduits sur les grandes exploitations et les anciennes cités romanisées. De succès en succès, les Maures installaient de grandes principautés dégagées de l’emprise romaine ou vandale. La mieux connue, et sans doute aussi la plus puissante d’entre-elles, était celle des Aurès que Mastiès dirigeait au titre d’Imperator chrétien local. Lorsque les Byzantins débarquèrent en Afrique du Nord, les Vandales n’exerçaient déjà plus aucune influence en Numidie occidentale, d’autant moins dans les Maurétanies. De 523 à 530 sous Hildéric, le royaume connut une plus grande tolérance, la vie avait pris un autre cours, même pour les derniers Vandales. Voici ce que dit d’eux Procope, une fois qu’ils eurent goûté à la civilisation : « De toutes les nations que je connais, celle des Vandales est la plus efféminée ; du jour où ils ont occupé l’Afrique, ils ont pris l’habitude de bains journaliers et ont fourni leur table de tout ce que la terre et la mer offrent de plus délicat. Ils sont couverts de bijoux d’or et de vêtements de soie, ils ont fait leurs délices du théâtre, de l’hippodrome, des autres plaisirs de même sorte, et surtout de la chasse ; ils se sont complus aux danses et aux mimes, à la musique et aux spectacles, à tout ce qui peut charmer les yeux ou les oreilles. Ils habitaient pour la plupart de magnifiques villas toutes environnées d’arbres et d’eau courante ; ils passaient le temps en grands festins et se passionnaient pour le plaisir de l’amour ». C’est bien connu, le civilisé n’aime plus faire la guerre.

Lorsque les Grecs de Byzance s’attaquèrent aux Vandales pour les déloger complètement des lieux, ils ne mirent pas longtemps à détruire leur royaume (534), mais ils ne purent reconquérir les Maurétanies, sinon à occuper quelques villes côtières comme Cherchell ou Rusguniae (Tamensouft), l’ensemble du territoire ayant été regagné par les Maures indépendantistes. Quant à eux, les Vandales furent en partie exilés, en partie éliminés, les quelques rescapés s’étant ensuite fondus dans la population locale, notamment en Kabylie. L’occupation vandale en Afrique du Nord n’aura duré qu’un tout petit siècle ; elle n’aura en rien marqué les Maurétanies, leur influence sera minime en Numidie, où l’on ne retrouve que peu de traces de leur passage. Les Tunisiens ont eu plus de chance, car l’empreinte germanique aura été bien plus forte dans l’ancienne Proconsulaire. Cependant, les Vandales n’ont rien bâti et on ne retrouve aucune construction religieuse ou civile à leur attribuer. Des épitaphes ainsi que des funéraires à noms germaniques subsistent tout de même (Tipasa, Tebessa) ; des tablettes de bois portant des inscriptions concernant des actes de propriété (tablettes d’Albertini) ont également été retrouvées. Il n’y aurait pas eu, d’après Serge Lancel, de véritable peuplement vandale dans la partie algérienne de leur royaume, mais seulement sur la frange qui borde la Tunisie.

Les principautés (ou royaumes) maures indépendantes

C’est à partir du milieu du Ve siècle que les premières principautés maures, affranchies du pouvoir romain, virent le jour. Chacune était administrée par un chef, héritier d’une aristocratie berbère romanisée, voire christianisée. On n’en était pas aux premières rébellions ; bien plus avant si l’on s’en souvient, deuxième moitié du IVe siècle, la révolte des fils de Nubel contre Rome, qui avait semblé donner le La d’une reconquête au moins partielle du territoire Nord-africain, s’était terminée par un fiasco. Mais, peu à peu, la quarantaine de tribus maures qu’avait cité Ptolémée au IIe siècle saurait se fédérer pour ne former, avant que les Arabes n’arrivent, qu’une petite huitaine de royaumes indépendants, sept pour ce qui concerne le territoire de l’actuelle Algérie. En ce qui concerne les Vandales, les Maures, qui au début en avaient eu bonne impression parce qu’ils les voyaient comme des libérateurs potentiels, ne soutinrent plus, à partir de 485, les Germains d’Hunéric, bien au contraire. L’histoire de ces royaumes indépendants est fort mal connue et nous n’avons que peu de vestiges de ce monde-là : quelques inscriptions, peu de récits et d’écrits rapportés par les historiens ou les géographes de l’époque, mais quand même plusieurs mausolées (Djeddars) typiquement berbères, malheureusement pillés et quelque peu saccagés ; des preuves, aussi, de différents bâtis effectués par les autochtones déjà affranchis depuis 455 (nouvelles églises d’Ala Miliaria – lieu-dit Benian au Sud-Est de Mascara -, de Castellum Tingitanum – El Asnam – ; basilique de Rusguniæ – Bordj Tamenfoust, ex-Cap Matifou – restaurée…).

Les théories s’affrontent et il est difficile d’en rendre une plus crédible qu’une ‘autre. En gros, il y a la version de Mahfoud Kaddache (historien algérien) contre celles des autres (historiens occidentaux). D’après Kaddache, il n’y aurait eu que deux sortes d’habitants dans cette Algérie de fin d’Antiquité : les Romani et les Mauri, les Romains et les Maures. Je le cite : «le Maure est le Berbère identifié à la vie tribale et resté Africain ; ni le bilinguisme, ni même la conversion n’avaient réussi à faire de lui un Romain». On pourrait donc penser qu’aucun mélange ethnique se soit fait. Pour Gilbert Meynier et Serge Lancel, il est vrai qu’à l’arrivée des Vandales, on commença à échapper à la romanité. Dans les villes reconquises par le Maures, cités dont la vie s’est poursuivie – jusqu’à l’arrivée des Arabes – malgré la dé-romanisation, le latin avait évolué en se créolisant (il s’est vu truffé de mots berbères), l’écriture est devenue cursive comme elle le sera dans le Moyen-Âge européen ; ce latin dénaturé préfigurait alors les futures langues romanes qui allaient émerger ensuite au Moyen-Âge, un peu partout en Occident. Les noms employés redeviennent typiquement berbères, des inscriptions en témoignent (Ingmena, Masviginus, Iider…). C’est l’avènement de l’islam qui, finalement, bloquera l’évolution de la vie urbaine vers la modernité, et qui empêchera de s’épanouir cette civilisation berbéro-romaine originale. M. Kaddache reconnaît cependant que la tradition romaine était encore d’usage pour ce qui était de régir et d’administrer de tels royaumes (procurateur, préfet, rex, imperator), et que le christianisme y avait été fidèlement conservé en de nombreux endroits (beaucoup de rois maures furent chrétiens, et des textes mentionnent plusieurs conciles maurétaniens, en 425 et 646). A cette époque tardive, il semblerait que la paix religieuse et la tolérance régnaient entre païens des origines, juifs et chrétiens. Durant donc environ deux siècles, la Maurétanie césaréenne, qui a en grande partie échappée à la domination vandale et, plus tard, à celle des Byzantins, connut une ère de symbiose réussie entre Mauri et Romani ; Il n’y eut par contre pratiquement aucun contact entre les Maures et les Byzantins, pas plus qu’avec les Vandales. Les rapports entre les plaines et les montagnes furent petit à petit restaurés, l’insécurité ne pouvait que reculer. M. Kaddache aurait une vision trop favorable à l’identité nationale que les Algériens se font d’eux-mêmes : la fin de Rome en Algérie signifie pour lui le retour à la pure tradition des ancêtres, comme nous en ont donné l’exemple, Massinissa et Jugurtha. Je le cite une fois de plus : «l’Afrique romaine finissait, l’Afrique berbère commençait». Pour répondre à Kaddache, on peut se fier à l’historien et archéologue Paul-Albert Février lorsqu’il estime que «les Romani étaient peut-être des Romano-africains de la région, intégrés dans l’Empire depuis l’an 39 ; que les Mauri représentaient des populations tribales d’en deçà du lime, qui n’avaient jamais été intégrées dans l’Empire», ce qui me semble plus vraisemblable.

L’histoire de ces royaumes maures indépendants reste purement hypothétique et plusieurs versions nous ont été données. Il semble certain que la reconquête s’est faite en tache d’huile, de Tanger à Cherchell. On s’en tiendra à quelques éléments en notre possession :

♦ Inscription datant de 508, retrouvée à Altava (Ouled Mimoun), ville fortifiée par les Berbères de l’époque, dans l’Ouest algérien. Elle rend hommage à un roi maure nommé Masuna, qui aurait régné sur une petite région proche de la frontière entre les actuels Maroc et Algérie. Cette épigraphe fait de ce personnage le “roi des peuples maures et des Romains”, en latin dégradé : “Rex gent(ium) Maur(orum) et Roman(orum)”. On retrouve, dans la région, des inscriptions latines tardives (599 pour Altava, 651 pour Tlemcen). Le royaume d’Altava serait le plus ancien de tous.

Cette inscription complète disait à peu près cela : « Pour le salut et la sauvegarde de Masuna, roi de la nation des Maures et des Romains, forteresse édifiée par Masgivin, préfet de Safar, et Iider, procurateur de Castra Severiana, établie à Altava par Masuna »

♦ Soupçons concernant un éventuel royaume de l’Ouarsenis, avec les fameux Djeddars (mausolées princiers ou royaux) de la région de Tiaret (fouilles entreprises par Fatima Kadra). Deux brefs passages en parlent dans les écrits de Procope, citant un grand roi nommé Mastigas (ou Mastinas), qui aurait régné sur la Maurétanie Césaréenne, toute entière si l’on excepte Cesarea (Cherchell) et d’autres villes portuaires.

Situés à 200 km au Sud-Ouest de Tipasa, dans la région de Frenda, les treize djeddars, dont on ne sait s’ils étaient uniquement réservés aux rois défunts ou aussi à d’autres dignitaires berbères, tous en partie christianisés, font penser aux anciennes bazinas d’autrefois. Cependant, alors que les anciennes sépultures étaient de base circulaire, celles-ci ont des fondations quadrangulaires. Serge Lancel distingue deux nécropoles, l’une datant de la fin du Ve siècle, l’autre, du début du VIIe siècle. Elles sont surmontées d’un dôme pyramidal et entouré d’une ou de plusieurs enceintes faites de pierres. En leur noyau central se trouve une fosse funéraire entourée de galeries et de sortes de chambres (chapelles, sépultures associées, déambulatoires). Les décors en bas-reliefs sont rares et représentent des scènes de chasse, des animaux, ainsi que des symboles chrétiens dans le plus ancien des mausolées (rosaces à six pétales, étoiles, chevrons et colombes entourant un calice…) ; certaines représentations rappellent l’esthétique berbère de la préhistoire (bovins, chevaux, antilopes bubales, lions, autruches…). Malheureusement, pas un seul djeddar n’a échappé aux pillards, ce qui laisse peu d’indices aux archéologues pour pouvoir les dater avec précision et en connaître l’occupant ; l’on sait qu’ils ont été construit dans une fourchette de deux siècles à peu près. Les fouilles ont été effectuées par Fatima Kadra, mais on n’a pas réussi à prouver que la dépouille de Masuna a bien été placé dans une de ces imposantes tombes.

♦ Procope mentionne également l’existence d’un royaume contemporain à celui du précédent, dans l’Hodna, au Sud de la Maurétanie sitifienne, et administré par Ortaïas, ennemi juré de Mastigas, qui (selon Kaddache), en s’alliant au roi des Aurès, Iaudas, aurait réussi à s’emparer de l’Hodna. Mentionnons Vartaia, prince maure du Hodna, vers le milieu du VIe siècle.

♦ Le royaume des Aurès aurait été dirigé, avant Iaudas, par un autre grand chef, Masties, qui s’était lui-même qualifié de dux puis d’imperator. Il avait régné lui aussi sur les Maures et les Romains, et était chrétien.

♦ Non loin de Bechar, sur les bords de l’oued Guir, marquant la frontière avec le Maroc, les fouilles menées par Gabriel Camps attestent de l’impact du christianisme dans le désert du Sahara (stèle de Djorf Torba, VIe siècle).

♦ Plus au Sud encore, à Abalessa située sur les contreforts du Hoggar, se trouve un tombeau étonnant ; serait-ce celui de la princesse saharienne Tin Hinan ? Nul ne le sait encore. Le squelette, parfaitement conservé, est celui d’une femme de haute stature, au bassin étroit, et affligée d’une remarquable arthrose. Associé à la défunte, on a retrouvé un véritable trésor d’or et d’argent qui, par chance, avait échappé aux habituels pillards de tombes. Il est exposé au musée du Bardo à Alger. La sépulture est contemporaine d’Augustin de Thagaste et de Nubel (IVe siècle); vu le mobilier et le décor, elle se situe au carrefour des arts nigérien et gréco-romain ! S’il s’agit de Tin Hinan, on pense d’elle qu’elle n’était pas chrétienne, contrairement à ce qui a été dit un peu partout.

La reconquête byzantine

Cela faisait longtemps déjà que les Byzantins cherchaient à déloger les Vandales des anciens territoires que ces derniers avaient peu à peu soufflé à Rome, sur la Méditerranée occidentale. Plusieurs tentatives de reconquête avaient échoué : en 648 et en 470 notamment (expéditions envoyées sous Léon 1er), deux défaites mémorables que les Germains infligèrent aux généraux de l’Empire d’Orient, grâce à leur puissante flotte et à leurs guerriers encore unis. En réalité, le gros de l’armée byzantine était occupée, en Asie mineure, dans sa résistance contre les Perses sassanides, en guerre contre l’Empire depuis le début du Ve siècle. Un traité de paix fut alors signé entre Khosro Ier, le roi perse du moment, et Justinien, l’empereur de Byzance de 527 à 565 ; ce dernier, bien décidé à en découdre avec les barbares, du côté de l’Afrique et de la Sicile, organisait déjà sa future campagne militaire. La trêve, de brève durée en réalité, allait enfin permettre un engagement militaire sans pareil contre les occupants Vandales, en 533, au prétexte que leur roi, Gélimer, venait de déposer Hunéric à qui étaient reprochées ses défaites contre les Maures, sa trop grande tolérance envers les catholiques, ainsi que son alliance avec l’empereur. Les meilleurs généraux byzantins, Bélisaire et Solomon, épaulés plus tard par un excellent lieutenant, Jean Troglita, furent envoyés vers l’Afrique du Nord. Quand la flotte byzantine – un important corps expéditionnaire de 16000 hommes -, dotée de 500 navires de guerre et convoyée par 92 croisières, approcha les côtes tunisiennes, elle ne rencontra quasiment pas de résistance ; on allait même trouver des soldats vandales mal préparés, une armée très réduite en nombre et une marine complètement inefficace. C’était l’été 533. Les 200000 Germains, un peu amollis depuis qu’ils avaient goûté aux plaisirs de la civilisation, avaient perdu en partie leurs vertus guerrières, mais, surtout, étaient divisés en deux groupes qui s’opposaient, notamment en Sardaigne, les uns étant restés loyaux envers Hunéric, les autres ayant pris parti pour Gélimer. Byzance en profita donc. Le débarquement eut lieu près de Sousse, au Sud d’Hadrumetum, en Byzacène. Première victoire byzantine, les troupes vandales furent défaites. La longue marche sur Carthage fut immédiatement entreprise, rendue aisée par le laisser-faire des tribus maures, qui voyaient dans les militaires byzantins des bienfaiteurs, et l’espoir suscité chez les catholiques et les aristocrates romains, encore sous emprise vandale. Le pillage fut d’ailleurs interdit tout au long du parcours, afin de rassurer les populations autochtones. Une seconde victoire sur les troupes vandales de Gélimer eut lieu à l’Ad Decimum (13 septembre 533), la suivante et dernière (bataille de Tricameron du 15 décembre 533) précipitera le royaume germain vers sa fin. C’est seulement en mars 434 que Gélimer se rendit ; il sera fait prisonnier, puis envoyé en exil en Asie mineure. Bélisaire ne se gênera pas pour spolier immédiatement les barbares de tous leurs biens. Le royaume de Genséric à jamais perdu, les Vandales survivants de l’hécatombe s’éparpillèrent en partie dans les campagnes de Numidie, d’autres furent tout simplement déportés et vendus comme esclaves.

Mais, comme le dit Gilbert Meynier : « le byzantin n’était pas, aux yeux des (Nord-)Africains, une autorité bienfaisante et populaire », ce qui fait qu’en 534, les Berbères attaquèrent les postes-frontière du Sud-Est, en Byzacène, la révolte s’étendant jusqu’en Numidie. En Byzacène, les armées grecques, bien qu’en nombre réduit et peu mobiles à cause leur matériel lourd, l’emportèrent facilement. Ailleurs et pour cette même raison, la tactique berbère de type guérilla obligea Solomon à battre en retraite dans les Aurès. En 536, profitant de mutineries au sein du corps expéditionnaire byzantin, les Maures firent encore reculer le grand général. En 539, une deuxième expédition romaine s’aventura à nouveau dans les Aurès. Le roi maure, Iaudas, blessé, dut se réfugier en Maurétanie. C’était une grande victoire pour Solomon qui soumettait enfin des tribus de l’Hodna et de la région de Sitif (Sétif) ; mais, en 544, il fut battu lors d’une nouvelle bataille, fatidique puisqu’il y perdit la vie, près de Théveste (Tebessa). Byzance, qui cherchait coûte que coûte à refouler les Maures vers le Sud et vers les Maurétanies, entretint cette guerre jusqu’à ce qu’un compromis soit trouvé entre Byzantins et Maures, en 548. De nombreuses forteresses et des petits fortins virent le jour, côté byzantin, qui tentaient de séparer les deux peuples et de protéger ce qui pouvait encore l’être (Aurès, Nemenchas, Sitifienne, Proconsulaire…). Des révoltes maures eurent bien lieu, de 563 à 565 et de 569 à 578, mais, si elles l’entravaient certainement, elles n’empêchèrent pas l’épanouissement de la civilisation byzantine en Algérie orientale, civilisation que Justinien 1er allait porter à son apogée. Il n’y eut pas cependant de continuum entre l’Empire romain d’Occident et celui d’Orient. Ce n’est qu’en théorie que Justinien restaura l’ordre ancien, avec ses divisions territoriales d’avant l’invasion vandale.

Le compromis de 548 redonnait un semblant de pouvoir aux Byzantins qui rétablissaient les normes en vigueur du temps de la grande Rome. Les cadres administratifs et législatifs anciens furent ainsi restaurés. L’Église catholique, largement favorisée et même privilégiée sous Justinien, vit aussi le diocèse d’Afrique réorganisé en sept provinces. Les arianistes furent tout simplement persécutés, tout comme les donatistes qui n’avaient pas complètement disparu de la scène religieuse, et les juifs, contraints à leur conversion au catholicisme ; cela alla de paire avec la reprise forcenée de l’évangélisation dans les terroirs. Le pouvoir militaire fut rendu à des chefs de province, les dux, nommés par les autorités byzantines. Côté future Algérie, ces chefs, commandant chacun une armée d’Afrique, étaient intallés, l’un à Cæsarea (Cæsarea/Cherchell pour la Césaréenne), l’autre à Contantine (ancienne Cirta pour la Numidie). Ils nommaient eux-mêmes de plus petits chefs qui agissaient comme des præsides, à la romaine, dans les tribus fédérées. En devenant vassal, le dux recevait comme insignes le bâton et le diadème d’argent, un manteau blanc et des chaussures relevées d’ornement en or. Ils recevaient également de l’Empire un subside en échange d’un service militaire obligatoire pour leurs sujets mâles. Chaque tribu envoyait donc, sans sourciller, ses foederati ou ses gentilles. En Maurétanie sitifienne, Sitif (Sétif) fut seulement occupée en place forte. Mais, loin de faire confiance entièrement à ces futurs chefs déjà programmés, qui seront – s’ils ne l’étaient pas déjà – en partie vassalisés et christianisés, et comme pour faire barrage aux Berbères non fédérés – ceux qui refuseraient de faire à nouveau allégeance aux Rûms -, Solomon avait pris les devants en faisant lever de puissantes murailles autour des cités bordant le nouveau lime (Théveste/Tebessa, Thelepte/Feriana, Madauros/M’daourouch, Thamugadi/Timgad, Tipasa/Tiffech, Tigisis/Aïn el Bordj), et en faisant bâtir ou renforcer de nombreuses autres citadelles (Thagora/Thagora, Gadiaufala/Ksar Sbahi, Ad Centenarium, Tigisis/Teghzeh, Vegesala/Ksar el Kelb, Cedia/Oum Kif, Masula/Khenchella…). D’autres places avaient été munies de fortins (Choba/Ziama, Milev/Mila…). Il faut bien comprendre que la frontière nouvellement établie par les Byzantins avait bien rétréci depuis la chute de Rome, surtout depuis que les Maures avaient osé attaquer certaines cités, en faisant intervenir au moins trente mille cavaliers (Lambæsis/Lambèse-Tazoult, Diana veteranorum/Aïn Zana, Timgad et Bagaï/Ksar Baghaï…). Jamais le faste romain de l’apogée impérial ne fut retrouvé, tous les moyens allaient maintenant à l’action militaire. De la Sitifienne à la Tingitane, les Byzantins occupèrent quand même quelques ports (Iomnium/Tigzirt, Igilgili/Djidjelli, Saldæ/Bejaïa, Rusippisir/Azeffoun, Russucuru/Dellys, Rusguniæ/Bordj el Bahri, Tipasa/Tifech, Gunugu/Gouraya, Cæsarea/Cherchell). Les années passèrent qui usèrent le pouvoir, à force de luttes épuisantes et coûteuses contre les tribus indigènes non soumises, et qui le minèrent peu à peu de l’intérieur, à cause de querelles religieuses et théologiques interminables, comme par exemple dans l’affaire des Trois chapitres, lors du grand schisme monophysite. Un terrible malaise s’était installé et persistait, malgré les règlements de compte qui avaient eu lieu lors du deuxième concile de Constantinople. Les persécutions étaient souvent plutôt contre-productives, les fuyards arrivaient à s’échapper et se réfugiaient parmi les Maures eux-mêmes : de nombreuses conversions au judaïsme ont certainement eu cours, comme dans le Sud tunisien par exemple.

L’Empire, devenu instable, est fatigué et fragilisé ; le pouvoir central n’a plus d’effet sur les fonctionnaires qui n’obéissent plus ; les subsides ne sont plus versés. Les armées byzantines du VIIe siècle ne sauront contenir l’invasion arabe qui aura lieu en 642, par la Lybie pentapole ; elles ne pourront faire mieux quand les nouveaux venus arriveront, à peine un an plus tard, en Tripolitaine (643) ; après une résistance marquée jusqu’en 647, elles n’empêcheront pas leur avancée en Byzacène. Au final, Carthage tombera en 698 et les Byzantins devront se replier sur la Maurétanie tingitane (Maroc actuel), notamment à Septem (Ceuta), qui sera prise à son tour en 709. Si, au VIIe siècle, le christianisme était la religion adoptée par de nombreuses tribus, sur la côte comme à l’intérieur, la romanité de l’Afrique du Nord, “l’Occidentale”, cèdera définitivement sa place à l’islam venu d’Orient. Les Arabes découvrirent alors des tribus maures indépendantes (Djeroua, Ifren, Magraoua, Auraba, Zenata…), qui avaient fait émergence pendant le lent déclin des Grecs ; une résistance les opposèrent, un temps seulement. On retiendra au final une faible influence byzantine en Algérie, la majeure partie du pays avait fini par échapper en réalité à leur contrôle, seul un tiers de la Numidie leur avait été finalement échu ; leur empreinte ne fut réel qu’ailleurs, en Byzacène et en Proconsulaire, où, à Carthage, siégeaient les véritables décideurs (préfet du prétoire et prélat catholique), et où la culture gréco-latine s’était un peu maintenue. Mais cela fait davantage partie de l’histoire des Tunisiens.

Selon l’historien Yves Modéran (décédé en 2010), les royaumes maures auraient pu, s’ils n’avaient été gênés par la reconquête byzantine, former à l’instar de ce qui s’est fait en Gaule sous Clovis, la matrice d’entités étatiques nouvelles. L’idée même sera enterrée définitivement avec l’arrivée des Arabes. Les villes cesseront de se développer, le nomadisme reprendra le dessus, l’enfermement tribal empêchera un État d’émerger. Le mariage romano-arabe ne se fera pas, jamais quand bien même l’occupation française en aurait, plus tard, fait rêver certains.

La période augustinienne (354 – 430)

Repères de lecture : Dans l’Antiquité tardive de l’Afrique du Nord, c’est à dire la période allant du IVe au VIIe siècle, le christianisme est bien implanté d’Est en Ouest. Le grand Diocèse d’Afrique (Diocesis Africæ), placé sous la responsabilité du vicaire de Carthage, comprend presque tout l’ensemble des régions conquises et administrées par Rome du temps d’Octave-Auguste ; d’Est (Tunisie actuelle) en Ouest se succèdent la Proconsulaire (dont une partie mord sur l’Algérie actuelle) et Carthage, la capitale, la Numidie à laquelle sont adjoints les Aurès et le Nemencha, la Maurétanie sitifienne et, enfin, la Maurétanie césarienne (la Maurétanie tingitane faisant partie du diocèse d’Hispanie). Une fois passé l’évènement choc dû à la révolte de Firmus (372 – 375) qu’avait déclenché les maladresses du commandant militaire suprême en Afrique du Nord (le comte Romanus) , il faudra attendre l’invasion vandale (vers 430) pour que l’Algérie connaisse de nouveaux troubles importants. Par contre, en ce qui concerne le schisme des donatistes, il ne sera pas complètement réglé du vivant d’Augustin de Thagaste (ou d’Hippone). La première basilique d’Afrique n’a pas, comme on aurait pu le penser, été bâtie dans la partie la plus romanisée du Maghreb (Proconsulaire et Numidie), mais en Maurétanie césaréenne, à Castellum Tingitanum (Chlef) plus précisément. Ce qui n’empêche pas que la contrée la plus marquée par le couple romanisation-christianisation allait de Carthage aux confins de la petite Kabylie. Passée cette frontière, les routes et les campagnes étaient de moins en moins sûres, cependant que les autochtones se faisaient plus revêches au monde occidental. Y proclamer la “ bonne parole ” n’était pas sans danger et les groupes de circoncellions y étaient encore présents, qui guettaient à la croisée des chemins le voyageur à détrousser. Le christianisme, tout comme la romanisation dont il est difficile de ne pas lui associer, permettra la poursuite de l’essor urbanistique jusqu’au VIIe siècle. On construisait encore, malgré le déclin de l’Empire, de nouveaux édifices (basiliques chrétiennes, chapelles, baptistères…), on restaurait également l’ancien. Si quelques petites communautés tribales se maintenaient encore dans les campagnes reculées, les révoltes maures y étaient devenues rares et de faible importance ; dans les villes et leur périphérie on abandonnait peu à peu les réflexes tribaux pour leur préférer les principes de la civilisation des villes et du droit qui les régissait. La langue latine était devenue langue officielle et langue politique ; on continuait cependant à philosopher en grec – Augustin ne le fera qu’en latin ; dans les campagnes, à l’opposé, on ne parlait quasiment que le lybique, auquel lui étaient associés de nombreux mots et expressions puniques. La charnière IVe – Ve siècle, bien que connaissant une réelle prospérité économique, ne sera toujours pas un moment de partage des richesses. On continuait à exploiter cupidement les ouvriers agricoles et à appliquer une fiscalité usurière, souvent de manière clientéliste,  l’argent étant détourné au profit  des villes, afin qu’elles continuassent à briller de leur architecture, aussi fastueuse et somptueuse qu’inaccessible aux citoyens. Les Vandales arrivant, il semblerait qu’ils aient été plutôt accueillis en libérateurs par les gens ordinaires, du moins tout au début.

A l’époque d’Augustin (354-430), de nombreux Berbères avaient dû se déclarer chrétiens, mais on peut penser que toutes ces conversions n’étaient pas si sincères en réalité. Dans certains cas, l’allégeance faite au christianisme n’empêchait pas de perpétrer le culte ancestral ou de faire dans le syncrétisme spirituel. Toujours est-il que les chrétiens n’étaient pas tous d’accord entre-eux, les uns s’en remettant à l’Église catholique apostolique et romaine, alors que les autres, les donatistes, ne voulaient en aucun cas reconnaître l’autorité du primat placé sous la volonté de Rome à Carthage (lire Le christianisme romano-africain entre orthodoxie et hétérodoxie). Augustin ne cessera de combattre le mouvement donatiste, souvent associé à celui des circoncellions ; au point qu’on peut lui dédier la victoire finale du catholicisme dans l’Algérie antique, victoire qu’il ne connaîtra pas. Dans l’ensemble, le nombre de convertis, certainement très important dans l’Est algérien, va en décroissant plus on va vers l’Ouest et vers le Sud du pays. L’évangélisation donne l’impression d’avoir été facile dans les villes et leur proche périphérie, plus difficile – voire impossible – dans les coins les plus reculés. Mais les fouilles n’ont pas encore tout révélé, loin de là. C’est dans les milieux les plus romanisés que la nouvelle croyance trouvait le plus vite ses adeptes, là où le latin et le grec, langues du savoir et du pouvoir, était sus, compris et parlés par beaucoup. Bien que n’ayant pas connu les terribles bagarres christologiques de l’Orient, le diocèse africain fut remarquablement secoué par le mouvement schismatique donatiste, un mouvement contestant uniquement le pouvoir du vicaire carthaginois depuis 311. Puissamment organisée, puisqu’elle “étendait partout ses ramifications, en Proconsulaire, en Bysacène, en Tripolitaine, dans les Maurétanies”, ainsi qu’en Numidie, cette contre-Église n’a jamais cédé aux politiques violentes conduites par les empereurs successifs (répression, persécution, exil) ; c’est pourquoi Augustin entreprit de faire autrement, par la discussion honnête et loyale, et non le combat par des armes. Il pensait que le raisonnement juste pouvait convaincre à force de démonstrations persuasives. A Hippone (Annaba), alors qu’Augustin en était l’évêque, la quasi totalité des chrétiens était donatistes. Il en allait de même à Bagai (Baghaï). Dans de nombreuses localités, les donatistes n’avaient même pas d’adversaires. Comme le dit le très (c’est un militant) chrétien Lucien Oulahbib, “on ne sait ce qui serait advenu sans l’entrée en scène d’Augustin”, et “c’est par la prédication, par la propagande, par la publicité, que d’abord Augustin voulut ramener les schismatiques à l’Église-mère”, en vain. Sa première mémorable intervention aura lieu en juin 411, lors du grand concile qui s’est tenu à Carthage, réunissant, selon les sources, 270 à 286 évêques donatistes et 279 à 285 évêques catholiques. L’assemblée devait décider qui, des donatistes ou des catholiques, constituaient la véritable Église…

Rappelons que la reconquête catholique avait commencé bien avant (en 366, sachant que Donat est mort en 355), lorsque l’évêque catholique Optat de Milev eut rassemblé des documents historiques prouvant l’erreur des donatistes. Cela n’a bien sûr pas suffit puisque le schisme persistait encore au début du Ve siècle. Mais Augustin saura s’en servir à un moment plus opportun. Âgé de 41 ans (395), alors qu’il venait d’être élu évêque d’Hippone (Annaba), il se fit concepteur de cette reconquête, quand Aurélius, évêque de Carthage depuis 392, se chargea de tout organiser. Le dialogue engagé avec les représentants des donatistes ne donnant rien, la diplomatie ne suffisant pas, Augustin fera paraître, pendant une trentaine d’années, maints traités doctrinaux, attaquant le camp adverse. Tout les moyens furent utilisés, même celui de faire appel à la force publique : « il se fit historien, si besoin portraitiste satirique ou rimailleur de combat. Il en appela à la contrainte du pouvoir civil en s’appuyant notamment sur un célèbre verset de l’évangile de Luc : “ vas-t’en par les chemins et le long des clôtures, et fais entrer les gens de force afin que ma maison se remplisse ” ». En 405, l’empereur Honorius émit un nouvel édit impérial d’union où l’ordre était formellement donné aux donatistes de rejoindre l’Église catholique romaine ; on assimilait alors clairement le mouvement à une secte d’hérétiques. S’il approuva les mesures contraignantes mises immédiatement en application, Augustin ne recommanda d’éviter les exécutions capitales qu’en 408. Lui, prônait l’exil pour tous ceux qui continuaient à organiser des cultes schismatiques. En 411, lors du concile de Carthage déjà cité, la date est capitale, Augustin se fit directeur des débats devant rétablir la vérité. Il allait enfin réussir à confondre les schismatiques à l’aide des fameux documents officiels de l’histoire, rassemblés autrefois par Optat : la démonstration est faite qu’un siècle plus tôt, Felix d’Abthugni (évêque d’Aptonge en Byzacène) avait été accusé à tort d’appartenir aux “ traditores ” ; il avait alors été fait usage de faux documents par les accusateurs. Si le donatisme n’avait plus lieu d’être, force était de constater que, même après la mort d’Augustin (430), le mouvement interdit, et bien que sacrément désorganisé, était loin d’avoir été terrassé. Pour plus de détails concernant le christianisme en Afrique du Nord, on consultera ce document en format PDF Le christianisme en Afrique romaine.

Aurelius Augustinus (littéralement, Aurèle petit Auguste) était fils d’un petit curiale (genre de décurion) de Taghaste (Souk Ahras), nommé Patricius et possédant quelques propriétés. La mère, Monnica (Monique, la future sainte-Monique), était une Berbère chrétienne, quand Patricius serait resté païen toute sa vie (certains pensent que Monique l’aurait convaincu de se convertir avant qu’il ne meure). Dans le municipe natal, il n’y avait pas de grammaticus. De fait, le père, malgré une fortune plutôt médiocre, envoya l’enfant suivre des études de grammaire à Madaure (Madauros/M’Daourouch), ce à l’âge de 11-12 ans. Brillant élève, sauf en langue grecque qu’il abhorrait, on fit tout dans l’entourage d’Augustin pour l’aider à poursuivre des études supérieures dans la capitale africaine, Carthage. Toute la carrière d’Augustin est due à un mécène généreux, un ami de la famille nommé Romanianus, qui mit une part de sa fortune à la disposition de l’enfant, sur la durée aussi, pour encourager le jeune prodige à gravir les plus hautes marches de la société. Sans ce bienfaiteur, il n’y aurait sans doute jamais eu de saint-Augustin, car, sans la notoriété qu’il acquit tout au long de son parcours, le Moyen-Âge ne l’aurait pas sorti de l’oubli, inconnu aujourd’hui a fortiori. C’est d’abord sa maîtrise de la langue latine qui sera déterminante ; heureusement pour lui, le Grec était de moins en moins utilisé. Jeune étudiant, il découvrit la philosophie, lut la Bible sans en être bien marqué. Enseignant une année à Thagaste, il obtint ensuite un poste à Carthage. Ce fut un rhéteur talentueux, et même un excellent orateur. Las d’enseigner à des étudiants indisciplinés et chahuteurs, il quitta Carthage en 383 pour rejoindre la botte italienne, Rome dans l’immédiat. Il n’y professera qu’une année. C’est à Milan, où il est arrivé deux ans plus tôt, qu’il devint titulaire, en 386, de la chaire de rhétorique ; il venait de remporter le difficile concours d’entrée. Sa mère – accompagnée de l’épouse d’Augustin et de leur fils Adeodatus -, puis d’autres proches parents, ainsi que ses amis supporters, étaient venus l’y rejoindre. C’est surtout de son ami de jeunesse, Alypius, un ancien élève de Carthage en fait, qu’il tirera la complémentarité nécessaire pour accomplir son œuvre : Augustin le penseur, Alypius l’organisateur.

D’un point de vue de la théologie, il s’arrangeait avec le dieu des philosophes, le dieu de Plotin, de Porphyre et de Jamblique. Sa philosophie se calquait donc sur le néo-platonisme en vogue. Les précédentes lectures du Nouveau Testament ne l’ayant pas vraiment convaincu, il se fera neuf ans durant adepte de la religion de Mani (manichéisme). Cela correspond à l’époque où il reconnut avoir fait non seulement bonne chère dans la vie, mais d’avoir aussi connu le si sensuel plaisir de la chair. D’ailleurs, pour sa mère Monique, réussir socialement – en bon épicurien – n’était pas totalement incompatible avec la sincérité du bon chrétien. Mais Augustin ne l’était pas encore lorsqu’une nouvelle lecture des Évangiles, notamment celle de l’épître de Paul aux Romains, l’amena à la célèbre illumination divine du jardin de Milan ; il fut immédiatement converti par ce passage révélateur : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair en ses convoitises ». C’en était fini de la belle vie… Le baptême fut donné à Milan, après qu’il eut, en présence de ses amis, de ses cousins et surtout d’Alypius son fidèle, effectué une retraite méditative à Cassiciacum, dans la campagne lombarde. En 387, l’évêque de Milan, le futur saint-Ambroise, déposa l’eau bénie sur la tête d’Augustin. C’est aussi l’année qui précède le décès de Monique qu’on enterrera à Ostie en 388. Ayant fait vœu de pauvreté et ayant renoncé à tous biens terrestres, Augustin ne se mit pas à renier ceux qu’il voyait en pécheurs, lui-même ayant fort bien connu cette situation ; comme le dit un autre passage de la fameuse épître de Paul : « Où le péché abonde, la grâce surabonde ».

A l’automne 388, tout ce petit monde va décider de rentrer en Numidie, dans l’espoir d’y vivre une expérience monastique partagée ; d’autres compagnons les rejoindront rapidement pour vivre dans la maison familiale, transformée en monastère pour l’occasion. Après trois ans de vie cénobitique, Augustin sera happé par la prêtrise qui l’occupera jusqu’en 396 ; l’année suivante, il fut nommé coadjuteur de Valérius, auquel il succédera rapidement comme évêque d’Hippone (Annaba). Alypius a alors été nommé vicaire apostolique de Thagaste un an auparavant. A ce niveau, les dates ne sont pas sûres, elles changent d’une source à l’autre. Le diocèse d’Hippone était un des plus vastes et des plus peuplés d’Afrique du Nord. Les troubles, variés dans l’ampleur, y étaient aussi fréquents. À deux reprises, Augustin échappera aux embuscades qui lui étaient tendues par des petits groupes de circoncellions. À en croire les dires de son biographe Possidius, Augustin travaillait 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24, selon l’expression moderne consacrée, ce durant 35 ans. En tout cas, la majeure partie de son temps, lorsqu’il ne pourra plus vaquer d’Est en Ouest en Afrique du Nord en tant que conciliateur dans les affaires liées au donatisme, et prédicateur comme sa charge le lui ordonnait, il la passera à étudier les Écritures. Pour mener à bien sa tâche, il travaillait de manière acharnée et veillait certainement la nuit. En plus de ses fonctions théologiques, Augustin nous a légué des ouvrages éclairants, qui ont certainement joué un grand rôle non seulement pour l’Église mais aussi dans l’histoire de France, à partir du Moyen-Âge. Parmi les plus connus, citons “ La Cité de Dieu ” (15 années de travail et d’obstination) et les “ Confessions ” (4 ans bien soutenus), mais on lui doit également de nombreux traités, comme le “ De Trinitate ” (plus de 20 ans) et d’autres sur la Genèse; aussi un traité sur la musique (De Musica).

La Cité de Dieu marque déjà les frontières entre temporel et intemporel. La formule employée vient du Christ lui-même : il faut distinguer le royaume de César et celui du Père céleste. Même s’il ne s’agit pas encore de laïcité au sens ou nous l’employons en France depuis la loi de 1905, cela ressemble à des prémices précoces, trop en avance sur leur temps. Les médiévaux travailleront cette idée, grâce, en partie seulement, à la (re)découverte des écrits égarés ; puis  la Renaissance nous conduira pas à pas vers la modernité du XXe siècle, après avoir beaucoup emprunté aux Arabes. Augustin ne sépara donc jamais totalement le politique et le religieux, mais il dénonçait la confusion courante faite entre les deux. D’une théologie métaphysique il fait une morale de vie, ce qui fait d’Augustin plus qu’un Père de l’Église ; nous avons à faire à un authentique philosophe dont la pensée directrice s’appuie sur l’autorité, sur le renoncement aux biens illusoires et éphémères, sur le refus de la luxure et des plaisirs de la chair autant que de la bonne chère. C’est donc un austère qui puise dans la joie des mystiques. Peut-on, cependant, être à la fois philosophe et mystique ésotérique ? Peut-on marier la carpe et le lapin ? Surtout lorsqu’on sait qu’il affirmait, contrairement à la doctrine de Pélage et de Coelestius, que les nouveaux-nés venaient au monde déjà pécheurs, fautifs avant l’acte. Pas d’innocence chez les très jeunes enfants : seul le baptême pouvait les purifier de cette infamie de la nature ! Aux yeux d’Augustin, l’adulte ne valait pas mieux puisque son libre-arbitre le menait droit à la chute, que sa volonté souveraine ne lui était pas mieux reconnue, que son salut ne pouvait arriver sans prières innombrables et sans supplication ou demandes en grâces, venues du ciel. Les élus sont comptés, qu’on se le dise. En tous cas, une magnifique série de métaphores.

La renommée d’Augustin durant sa vie était grande, en Numidie et en Proconsulaire surtout ; mais on peut penser qu’elle s’accrut encore plus tard, lorsqu’on retrouva ses œuvres, au Moyen-Âge. L’iconographie du XVe siècle en témoigne. Lorsqu’en 429 les Vandales débarquèrent dans l’extrême Ouest africain, plus de 80000 selon les textes latins, quand hommes, femmes, enfants et vieillards franchirent le détroit de Gibraltar, il ne restait à Augustin qu’un an à vivre. En 430, les troupes de Genséric, roi des Vandales, et des Alains qui leur sont associés (des Suèves également), faisaient le siège d’Hippone, dans laquelle se trouvait l’évêque. Aucune résistance organisée ne semble les avoir ralentis sur leur parcours. Gravement atteint par la maladie, Augustin mourra sans connaître l’issu du siège : la ville tombera en quelques mois ; elle sera désormais, pour un temps au moins, la capitale des envahisseurs, avant que ceux-ci n’aillent faire plier Carthage et s’en saisir.

Je laisserai, pour finir, dire quelques mots à Serge Lancel : « En renonçant au monde et en se mettant au service des autres, Augustin de Thagaste a incarné ce que l’Antiquité tardive, une époque de gestations confuses et souvent violentes, pouvait produire de meilleur : une destinée véritablement “ héroïque ”, celle d’un homme amoureux de la vie, attaché en sa jeunesse à la réussite, parvenu à la fleur de l’âge à la plus fine pointe des spéculations intellectuelles en même temps qu’en vue de la brillante carrière en ce monde, mais aussi dévoré de la plus noble des inquiétudes, celle de l’âme ». Du temps d’Augustin, l’Église réussissait à attirer son monde parce qu’elle avait su mettre en place des structures d’accueil et d’aide sociale relativement efficaces. La misère grandissante poussait tous les jours les pauvres des campagnes à rejoindre les villes où tous espéraient trouver meilleur sort. Cela n’arrivait pas le plus souvent, les graves troubles dus aux circoncellions, en colère contre la puissante Rome et dressés contre tout ce qui s’y apparentait, en étaient une preuve ; l’espace rural était devenu extrêmement dangereux pour tous ceux qui s’y aventuraient, car partout régnaient le brigandage et la terreur ; on enlevait fréquemment nombre de personnes dans un but esclavagiste et dépourvu de scrupules. L’effet d’attraction produit par les martyrs locaux et leurs reliques aggravait encore cet afflux massif de pauvres hères vers les cités. Vers 420, on avait même construit à Hippone une maison d’hôtes, un xenodochium placé sous la supervision d’Augustin, durant les dix dernières années de sa vie. Il ne fit pas longtemps service car l’effondrement progressif de l’ordre impérial avait sonné depuis longtemps déjà, mais aussi que les Vandales, pas catholiques mais ariens, ne firent rien pour maintenir ce genre de structures, au contraire puisqu’ils persécutèrent catholiques et donatistes. Enfin, comme le souligne Serge Lancel, « après nous avoir offert une œuvre d’une diversité et d’une ampleur sans égales dans toute l’Antiquité, Augustin reste aujourd’hui le grand oublié des Algériens ».

Le christianisme romano-africain entre orthodoxie et hétérodoxie

Repères de lecture : Le christianisme a bien pu, bien que nous n’en n’ayons pas la preuve, commencer à s’installer en Afrique du Nord dès la fin du Ier siècle. Ce qui est sûr, c’est qu’il arrive à Carthage par diverses voies, toutes méditerranéennes (Rome, Grèce, Moyen-Orient). La nouvelle religion, celle des débuts, devait peu se distinguer du judaïsme dont elle était issue, si bien qu’il n’y a pas tout de suite eu de véritable concurrence entre les deux doctrines. On pense même que le baptême a pu être, dans un premier temps, uniquement proposé aux juifs. Tant que ces deux branches du monothéisme ne s’occupaient que du religieux et de l’intemporel, ce qui était, en théorie, du ressort de l’Église chrétienne, le pouvoir romain ne se mêlait pas ou peu de leurs affaires. Il faut préciser que la tolérance religieuse va davantage aux Romains – un dieu de plus ou un de moins… – qu’aux deux autres croyances. Lorsque Rome eut décidé, afin de remettre un peu de clarté dans le cortège des religions qui sévissaient en Afrique du Nord, d’instaurer le culte à l’Empereur-Dieu, l’empereur étant présenté comme l’unique représentant – et souverain sur terre – du panthéon païen classique, le monothéisme se posa comme concurrent direct à l’autorité du prince ; les premières corrections/persécutions, appliquées aux chrétiens de Numidie et attestées par l’historiographie, remontent à la fin du IIe siècle, quelques années après celles qui viennent d’avoir lieu en Gaule. Les IIIe et IVe siècles vont être un tournant en ce qui concerne la domination de Rome en Afrique du Nord : la répartition des richesses était si mal assurée par le système économique et politique officiel – il y a pourtant pléthore et abondance -, que les chrétiens, plus solidaires envers les humbles que la plupart des païens, ont pu attirer dans leur Église nombre d’exclus. Un air de rébellion maure va souffler sur l’Afrique du Nord, qui ira de paire avec le premier schisme de l’Église orthodoxe et catholique ; une cassure qui donnera naissance à l’éphémère donatisme, un christianisme politique, radical et dissident.

L’Antiquité tardive en Afrique du Nord

Les IIIe et IVe siècles correspondent à une période charnière pour l’Empire romain. Au Nord, les peuples dits barbares se fédèrent à partir du IIIe siècle, au moment où Rome, faute de moyens humains et financiers, cesse sa surveillance sur le limes germanique. Tout l’Ouest (Gaule, Espagne et Italie du Nord) est ravagé par les Francs et les Alamans, de 242 à 276. A l’Est, c’est vers la fin du IVe siècle que des hordes de Huns venues d’Asie obligent les Wisigoths ainsi que des Alains, les premiers étant installés au Bord de la Mer Noire depuis l’an 200 environ, à se déplacer en masse sur l’Italie (401), notamment jusqu’à Rome qu’ils saccagent en 410. Cependant, et bien que tout le système politique tendait à s’écrouler de l’intérieur, la vie avant l’invasion de l’Afrique du Nord par les Vandales, au Ve siècle, était encore à la prospérité pour les cités qui continuaient à se développer et que l’on embellissait de plus belle. Les richesses produites ne manquaient pas, bien que le système économique atteignait ses limites d’efficacité, mais elles étaient fort mal redistribuées, au point que des révoltes eurent lieu dans les campagnes maurétaniennes, sous le règne d’Alexandre Sévère (222 à 235).

La mise en concurrence du culte de l’Empereur-Dieu avec le christianisme naissant a aussi contribué à l’affaiblissement de l’Empire : d’abord, une moindre cohésion civique qui auparavant exprimait l’adhésion à la divinité de l’empereur ; ensuite, beaucoup d’objecteurs de conscience refusant de porter les armes, ainsi qu’une perte de l’attrait pour les faits guerriers chez la plupart des citoyens romains. En Gaule, à défaut de régler le désordre social qui ronge la classe des petites gens, le pouvoir, représenté cette fois-ci par le philosophe et empereur Marc-Aurèle, préféra réprimer dans les rangs des chrétiens, en livrant aux lions, en 177, Blandine et Pothin. Les premiers martyrs romano-africains seront mis à mort à Scillium, à la même période en 180 ; Perpétue et Félicité seront martyrisés à Carthage en 203. En fait, les persécutions anti-catholiques vont durer ainsi tout le IIIe siècle, jusqu’au début du IVe quand, en 313, l’Édit de Milan y mettra définitivement un terme.

Quant aux origines du christianisme en Afrique du Nord, elles sont mal connues et l’historien Joseph Cuoq préfère se ranger derrière l’avis d’Augustin de Thagaste : « c’est de toutes les régions (de la Méditerranée) que l’Évangile est venu en Afrique », mais les plus anciennes mentions concernant le christianisme de cette région datent seulement de la fin du IIe siècle, avec les premières persécutions. Augustin évoque le premier évêque connu de Carthage, Agripinus, qui parvint à réunir 70 évêques d’Afrique proconsulaire et de Numidie lors du concile qui se tint entre 218 et 222. On sait que la christianisation avait déjà atteint de nombreuses villes ainsi que les plaines durant le IIIe siècle, et qu’il était une réalité populaire en Afrique du Nord, surtout sur le littoral. Était-il absent dans les coins les plus reculés (montagnes, désert) ? on le pense en tout cas. En 240, le concile africain réunit près de 190 évêques ; de cette époque – il meurt en 220 -, Tertullien est sans doute la première grande stature africaine du christianisme qu’il a longuement théorisé. Devant la crainte que manifestaient les Romano-Africains restés païens, face à l’ampleur prise par la nouvelle religion, il disait. : «Sans recourir aux armes, sans nous révolter, nous pourrions vous combattre, simplement en nous séparant de vous ; car, si cette multitude d’hommes vous eût quittés pour se retirer dans quelque contrée éloignée, la perte de tant de citoyens de tout état aurait décrié votre gouvernement et vous eût assez punis : vous auriez été effrayés du silence de votre solitude, du silence, de l’étonnement du monde, qui aurait paru comme mort ; vous auriez cherché à qui commander ; il vous serait resté plus d’ennemis que de citoyens… Nous ne sommes que d’hier et nous remplissons tout, vos villes, vos îles, vos places fortes, vos décuries, le palais, le sénat, le forum». Cyprien de Carthage, père et docteur de l’Église, sera évêque de la capitale proconsulaire en 249 et connaîtra le martyre en 258 ; il sera décapité sous le règne de Valérien.

La répression sanglante exercée par les Romains n’empêchera pas le christianisme, fort de ses promesses de salut dans la vie éternelle, de s’étendre peu à peu jusqu’aux Maurétanies (Est algérien et Maroc actuel) : la doctrine était séduisante pour les miséreux dont le nombre ne cessait d’augmenter. Les actions caritatives menées par les communautés chrétiennes, au service des nécessiteux, s’avérait plus efficace que le système de redistribution établi sur la traditionnelle relation patron-client de la société païenne. C’est au début du IVe siècle (303 – 305) et sous le règne de Dioclétien qu’aura lieu la plus terrible des persécutions à l’égard des chrétiens, mais qui sera aussi, à l’Est, dirigée contre les Perses manichéens : autodafé des saintes Écritures et peine de mort pour ceux qui n’abjurent pas leur religion et qui refusent de sacrifier aux dieux du panthéon romain. Cela eut pour effet de couper le mouvement chrétien en deux tendances qui ne feront plus que s’opposer : le parti des traditores ou lapsi (ceux qui ont – sensément – failli en livrant les Écrits aux censeurs) et celui des confessores (ceux qui tiennent tête au pouvoir au prix de leur vie). Le schisme n’est pas pour autant consommé entre les “lâches” et les “valeureux”, mais ça ne saurait tarder.

Donatistes et Circoncellions

Une “guerre de clocher” entre les différents territoires va se déclencher à partir de la dernière persécution : les diocèses numides seront constamment en rivalité avec ceux de l’ancienne capitale punique pour ce qui relèvera des nominations d’évêques en Afrique du Nord. En 305, les élections épiscopales de Constantine ne font déjà plus consensus et, en 312, la consécration du diacre Cécilien comme évêque de Carthage à la place de Mensurius (un traditor), qui vient de décéder, va être remise en cause par 70 évêques de Numidie, tous réunis à Carthage la même année. Se réclamant tous du mouvement des confessores, ils dénonçaient non seulement la présence de traditores – dont Mensurius lui-même – à l’élection générale, mais aussi le non respect de la tradition qui aurait voulu que l’élection soit validée par le primat de Numidie, un confessor. La réélection désigna Marjorin (Marjorinus), que destituera l’empereur Constantin l’année suivante pour remettre en place Cécilien.

La dissidence va s’organiser sous la houlette de Donat, alors évêque des Casae Nigrae (El Mahder, au Nord-Est de Batna) ; c’était un homme déterminé à en découdre une bonne fois pour toute avec les impurs, les apostats… C’est lui qui conduira le “Parti des martyrs” pour prendre de facto à son compte le siège carthaginois. Les donatistes sont déboutés lors d’un concile réuni à Arles en 314. Il sera fait appel devant la juridiction impériale mais Constantin donna finalement et solennellement raison à Cécilien, la justice ayant réussi à prouver l’inanité de l’accusation d’apostasie portée contre les catholiques non dissidents. Les donatistes étaient accusés de diffamation, mais aussi de contenir en leurs rangs de véritables traîtres à l’Église ; l’accusation inversée – ce qui ne risquait pas de calmer les choses -, le risque d’un schisme irréversible augmentait encore dans les années 317 à 319 : Constantin déclara les donatistes hors-la-loi, puis d’ordonner leur bannissement et la saisie de leurs biens, basiliques comprises. Les partisans de Donat en profitèrent pour mieux se plaindre à l’entour de la persécution soutenue par la “Grande Église” et menée contre eux ; ils ne faisaient que suivre, en cela, la tradition du martyre des premières communautés. On ne sera donc pas étonnés de voir qu’ils gagnèrent en popularité, effet inverse de ce qu’escomptaient obtenir les autorités.

En 321, alors que les troubles prennent une ampleur inquiétante pour la stabilité municipale en général, Constantin doit opter pour le rétablissement de la liberté religieuse pour tous, par un édit de tolérance. L’empereur, qui avait, malgré quelques hésitations, marqué son penchant pour les catholiques, renonça même, en 330, à faire expulser les donatistes d’une église qu’il avait pourtant fait bâtir pour les premiers, dans la ville de Constantine ; il leur en promit tout simplement une autre. Le donatisme progressait, jusqu’à gagner la plèbe qui, en ce IVe siècle plein d’injustices sociales, se plaignait de plus en plus de conditions de vie très insuffisantes. Un an avant la mort de Constantin Ier (†337), le concile général de l’Église donatiste réunit à Carthage 270 de ses évêques venus surtout de Numidie, là où les “hérétiques” étaient les mieux implantés et les plus actifs : la puissance du mouvement schismatique ne fera ainsi qu’augmenter jusqu’au siècle d’Augustin d’Hippone (ou de Thagaste par la naissance) . Mais on verra qu’à son époque, les Vandales apporteront en Afrique du Nord orientale une nouvelle hérésie (au sens grec du terme : choix) chrétienne, l’arianisme.

Vers 340, sous le règne de Constant, fils de Constantin, des bandes de miséreux, plus ou moins organisées, se mettent à parcourir les campagnes pour revendiquer leur droit à plus de dignité, en l’occurence de pouvoir travailler et nourrir leurs familles ; pour ce faire ils terrorisaient les propriétaires de grands domaines agricoles qu’ils n’hésitaient pas à tuer dans certains cas. Ces agitateurs, nommés circoncellions parce qu’ils rodaient autour des fermes et des greniers à blé pour, disait-on, les piller, n’étaient pas des brigands contrairement à ce qu’à pu en dire Augustin de Thagaste ; Serge Lancel écrit à leur sujet : «ce sont des employés intérimaires de l’agriculture ou des nundinae (marchés ruraux périodiques), chez qui l’instabilité sociale favorise les excès et les déviations de l’exaltation religieuse ». Les plus contestataires d’entre-eux, ceux qui formaient déjà un mouvement en totale dissidence avec le système économique, ne tardèrent pas à s’allier aux schismatiques qui l’acceptèrent dans un premier temps ; les donatistes comprendront bien vite qu’ils ne seront quand même rien moins que des alliés encombrants. Mahfoud Kaddache en a dit ceci : « l’action des circoncellions apparaît comme la revendication d’une plus grande justice sociale. Ils se recrutaient dans la plèbe rurale, plutôt que dans celle des villes. (…) On peut affirmer que les circoncellions constituaient, au IVe siècle, une sorte de prolétariat agricole de condition libre. (…) Ce fut une “véritable tentative de révolution sociale tendant à la libération des opprimés, esclaves ou mains-d’oeuvre de condition libre au chômage” ».

Deux meneurs aux noms berbères, Axido et Fasir, vont conduire une révolte paysanne mémorable, d’une extrême violence, dirigée contre les propriétaires terriens les plus riches ou jugés trop injustes envers leurs employés. Les créanciers seront contraints, sous peine de torture et de mise à mort, de détruire les reconnaissances de dettes, les maîtres à affranchir leurs esclaves. Débordés par ces révoltés sanguinaires qui se réclament d’eux, les donatistes en sont amenés à faire appel à la force publique – à celle du comte d’Afrique notamment – pour s’en débarrasser. Mais les donatistes n’ont jamais été bien claires quant à leur relation au mouvement circoncellion. La preuve en est que, vers le milieu du IVe siècle, ils feront des insurgés leur bras armé dans la rébellion schismatique. Pour plus de précision, on pourra lire “Une tentative de révolution sociale en Afrique”, de la Revue des Questions Historiques (format HTML, mais il existe aussi en PDF, sur Google). En 347, l’ampleur de la révolte est telle que Constant doit envoyer, en Afrique, des légats chargés de rétablir l’unité religieuse en imposant la fusion des deux Églises qui s’opposent depuis le début, rappelons-le, à cause d’une histoire de pureté et d’apostasie ; rien de théologique en tout cas. En vain. La querelle s’amplifie encore au point de déclencher une guerre religieuse responsable de massacres en série de part et d’autres. La véhémence des coups portés est partagée, bien que les catholiques ne sont pas majoritaires ; les bandes donatistes ravagent la région de Césarée / Cherchell et celle de Tipasa. La sévère répression qui va suivre se conclura par l’exil de Donat – qui meurt en 355 – et à la cessation du mouvement, au moins provisoirement.

Le nouvel empereur n’est pas chrétien, il s’agit de Julien l’Apostat. De 360 à 363, il rétablit les donatistes dans leurs droits, ce qui leur permet à nouveau de prospérer et de gagner le cœur de plus de la moitié de la population ; il n’y a plus guère d’évêques catholiques en Numidie, encore moins en Maurétanie. On pourrait croire qu’à partir de ce moment-là le donatisme avait toutes les chances de l’emporter en Afrique du Nord, mais c’est sans compter sur la verve d’Augustin, qui vient, en 391 d’être nommé dans l’évêché catholique d’Hippone (Annaba). Ce docteur et Père de l’Église va transférer le débat sur une voie beaucoup plus théologique ; le fait est totalement nouveau. Cela n’empêchera pas l’intransigeance et l’intolérance des donatistes qui sévirent un peu plus. En cette fin de siècle, la répression contre le mouvement donatiste ira de plus belle et Augustin, qui vient d’être fait évêque d’Hippone en 395, sera le premier à légitimer la persécution des derniers donatistes encore vaillants : confiscation de tous leurs biens à partir de 411, leurs propriétés étant alors transférées aux catholiques. Le sac de Rome par les Wisigoths a lieu en 410 et les Vandales sont aux portes d’Hippone en 429. Un an plus tard, Augustin rend l’âme dans sa ville assiégée par les barbares.

La révolte des fils de Nubel le Maure

Il y a eu des révoltes qui n’avaient qu’un caractère social ; d’autres peuvent faire penser à la manifestation d’un fort désir d’indépendance politique des tribus berbères à l’égard des autorités romaines. Mais cette résistance à l’emprise étrangère sera, comme ce fut le cas avec Jugurtha, sapée par les luttes internes de pouvoir, pas seulement inter-tribales, familiales surtout. Le schéma est à peu près le même pour la série de révoltes conduites dans la deuxième moitié du IVe siècle contre Rome et qu’on attribue aux fils du grand chef d’une confédération tribale, Nubel (ou Nuvel), issu de la tribu des Iubaleni, romanisé depuis son arrière-grand-père – il portait le titre de regulus (petit roi) – et mort vers 370. A cette date, il laisse des biens importants (un grand domaine au col des Beni Aïcha) ainsi qu’une grande postérité ; on connaît sept de ses enfants : l’aîné, Firmus, était chrétien ; le cadet, Sammac, possédait une immense propriété à Petra, dans la vallée de la Summam ; Mazuca habitait un fundus (domaine foncier) dans la région de l’oued Chélif ; Dius, dont on sait qu’il combattit au côté de Mascizel ; Gildon, resté païen ; Mascizel (ou Mascezel), converti au christianisme à la cour de l’empereur Honorius ; Cyria, certainement une fille. L’influence du père, de son vivant, s’étendait de la zone montagneuse des Bibans (Sud-Est de Bejaïa) jusqu’aux confins de l’Ouarsenis, en passant par le Haut-Chélif, de l’intérieur des terres jusqu’au littoral.

La révolte, qui va commencer en 371, est due à un différent entre Firmus et Sammac pour la succession du père qui venait de décéder. On peut penser logiquement que la seigneurie tribale était échue à l’aîné, Firmus, mais ce n’est pas ce que décida Romanus, le comte d’Afrique, commandant en chef des armées d’Afrique du moment, à qui incombait de régler les problèmes d’héritage au sein des familles berbères romanisées qui jouaient un grand rôle dans la stabilité politique des régions ; il opta pour Sammac et contraria tellement Firmus, en l’empêchant de plaider sa cause à Rome ,que celui-ci entra presque immédiatement en sécession. Après s’être allié à des bandes de circoncellions – ceux-ci provenaient d’une douzaine de tribus maures et numides, selon l’historien romain Ammien Marcellin – et aux représentants du clergé donatiste sur une bonne partie du pays, il va conduire une révolte comme il n’y en avait plus eu depuis Tacfarinas, un mouvement défiant l’autorité suprême, celle de l’empereur Valentinien. Les succès de Firmus sont fulgurants : de la Césaréenne aux Kabylies, des villes sont enlevées, mises à sac, à l’exemple de Cartenæ / Ténès, d’Icosium / Alger, de Cæsarea / Cherchell et de Rusicade / Skikda. Tipasa, assiégée par Firmus, échappa au massacre, comme certains disent, protégée quelle était sans doute par sainte-Salsa, une martyre des premières persécutions.

Valentinien n’en resta évidemment pas là ; en 373, il envoya en Afrique le généralissime Flavius Theodosius (Théodose l’Ancien, père du futur empereur Théodose dit le Grand) qui débarqua avec ses troupes à Igilgili (Jijel, à l’Est de Béjaïa), bien décidé de mater la rébellion aussi vite qu’il l’avait fait ailleurs, en Bretagne et en Rhénanie. La campagne dura en fait deux ans, avec d’âpres combats, l’autorité politique des instances romaines définitivement sapée en Maurétanie césaréenne, la famille Nubel complètement déchirée : Gildon s’est rallié aux Romains contre son frère Firmus, Sammac a été liquidé par ce dernier, dont la vigueur guerrière n’est pas émoussée, et Mazuca a peut-être été tué lors d’un combat. Combien de temps Firmus aurait-il pu tenir tête au colonisateur s’il n’avait été trahi et poussé au suicide par un de ses fidèles, Igmazen ? Nul ne le sait. Toujours est-il que les trahisons entre frères berbères ont toujours bien servi les ambitions de Rome sur la région. De la fratrie des Nubel, il ne reste plus que Gildon et Mascizel.

La paix va durer jusqu’en 395, quand Théodose Ier meurt en laissant un empire devenu impossible à gérer ; l’Illyricum est alors partagé entre les deux fils de Théodose, Honorius et Arcadius. Honorius, en Occident, reçoit le Diocèse de Pannonie, territoire allant des Alpes à l’actuelle Serbie. Arcadius, en Orient, reçoit les Diocèses de Dacie et de Macédoine, regroupant les actuelles Grèce et Macédoine. Stilicon (Flavius Stilicho, un général romain d’origine vandale) en occupe la régence. Entre temps, Gildon, qui avait été fait, et ce fut une première pour un Berbère, comte d’Afrique (387), devait naturellement faire allégeance à Honorius qui détenait la clé de tout l’Occident, mais, sans doute pour montrer un esprit d’indépendance politique, il fit comprendre qu’il serait l’allié officiel d’Arcadius, prince de Constantinople. Il faut dire que Gildon avait offert sa fille Salvina en mariage à Nebridius, le neveu même de l’impératrice d’Orient. Par contre, Mascizel, le frère qui lui restait, venait de se convertir au christianisme à Rome, à la cour d’Honorius. Le défi que lança Gildon contre Rome déclencha une nouvelle guerre. Pour marquer sa volonté de s’affranchir de l’autorité de l’envahisseur, il s’allia également aux donatistes, réduisit le nombre de bateaux chargés de blé en partance de Carthage pour l’Italie, avant de les stopper complètement en instaurant le blocus général. Stilicon dépêcha en Afrique 5000 légionnaires de toutes origines, placés sous le commandement de Mascizel. Battu lors de la bataille d’Ardalio, entre Théveste (Tébessa) et Ammædera (Haïdra), Gildon meurt, on ne sait avec certitude comment : exécution ou suicide, peu importe. De même, on ne sait ni comment ni pourquoi Mascizel, à son retour pourtant victorieux à Rome, mourut très bizarrement noyé. Il faut dire que son élimination par le pouvoir romain est fort probable puisque des puissants Nubel il ne restait plus aucun représentant susceptible de réclamer un trône en Afrique du Nord.

Enfin, le donatisme, lui aussi vaincu avec, symboliquement, la mort d’un de ses plus violents représentants, Optat de Timgad, est sur le chemin de sa décadence. Vers 420, Gaudentius, le dernier évêque donatiste, s’enferma dans la basilique de la ville et menaça de s’y laisser brûler vif. D’abord persécutés par les catholiques, les adeptes schismatiques, ainsi que les précédents, subiront la répression d’autres chrétiens dits hérétiques : les arianistes vandales qui viennent d’envahir une partie de l’Ancien monde.

Une hérésie en cache une autre : l’arianisme

L’évêque dissident Donat avait fait clairement comprendre que le pouvoir impérial n’avait pas à s’occuper des affaires religieuses ; il était donc pour la séparation des pouvoirs du profane, le politique, et du sacré, l’Eglise. Le schisme, d’ordre éthique et politique plus que théologique tout compte fait, a été consommé dès lors que les catholiques prirent la voie opposée ; ils choisirent le mélange des genres parce qu’il confère un plus grand pouvoir d’emprise et de contrôle sur le peuple. On comprend que les circoncellions d’Afrique du Nord, qui étaient de simples ruraux, aient pu facilement adopter la religion du parti donatiste : elle permettait de se sentir plus Maure que Romain finalement. En ce qui concerne l’opposition entre les catholiques orthodoxes et les adeptes d’Arius (les Vandales, les Alains et quelques Suèves égarés) qui viennent de surgir, elle relevait de l’exégèse et de la philosophie, une question d’interprétation des Écritures.

Arius était un prêtre qui professait vers 320 à Alexandrie une doctrine philosophique s’appuyant sur les Évangiles. Pour Arius dont la théorie se basait sur les travaux de Paul de Samosate et d’Origène, les personnes constituant la Trinité ne devaient pas être confondues : elles ne se valent pas. Dieu le Père est incréé, non engendré, mais Il a engendré le Fils qui peut être, tout au plus, considéré comme un dieu secondaire, très inférieur à la seule et unique divinité, Dieu, dont la présence du Christ ne fait que témoigner. Ce courant de pensée, déclaré hérétique depuis le concile de Nicée (325), est né en réaction contre des théories « monarchianisantes » qui, dès le IIe siècle, tendaient à absorber la personne du Fils dans celle du Père ; une thèse qui opposera un temps les chrétiens d’Orient au christianisme Occidental. A partir de 359, date de la prise de position officielle par l’empereur Constance, publiée à Sirmium, l’affaire sera réglée partiellement par adoption, aux conciles de Séleucie et de Rimini, du concept d’égalité entre le Père et le Fils selon les Ecritures, non en substance, il faut le préciser.

A l’avènement de Julien l’Apostat, en 362 précisément, la liberté religieuse étant restaurée, la doctrine d’Arius essaya bien de reprendre sa place originelle, en vain si ce n’est la conversion par l’évêque goth Ulfila des Wisigoths et des Vandales, installés près de la mer Noire. Au Ve siècle, les Wisigoths convertirent à leur tour les Suèves et, probablement, les Burgondes, pendant leur domination en Hispanie et en Gaule. Dans la partie Est de l’Afrique du Nord, la répression conduite par les Vandales victorieux fut terrible pour les victimes, catholiques et donatistes confondus.

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